"Se débarrasser de la psychanalyse" - Vraiment ?

 


Commentaire particulièrement abruti mais caractéristique de l'époque, en-dessous d'un message de ma part posté sur X (ça m'apprendra...) où il était simplement question de psychanalyse, un monsieur écrit ceci : "La France est le seul pays au monde où la psychanalyse n'est pas complètement déconsidérée, et pourtant l'on ne parvient pas à s'en débarrasser." Outre que la première affirmation est factuellement fausse, cela méritait quand-même une petite réponse.

Ceux qui aujourd'hui condamnent avec véhémence le discours psychanalytique, qui veulent littéralement sa mort, qui réclament notamment à cor et à cri son bannissement des institutions de soin et de santé "mentale"(*) au nom d'un nouveau scientisme incroyablement revanchard et servile comme jamais à l'égard des maîtres capitalistes (lobbies pharmaceutiques notamment), ceux-là sont très exactement dans la position des faux prêtres athéniens de la fin du Vè siècle avant J.-C - soi-disant gardiens des dieux de la cité mais surtout corrompus jusqu'à la moelle - qui ont fait condamner Socrate, qui ont saboté du même coup la démocratie parce que, par pur obscurantisme, ils ont voulu tuer dans l'oeuf le discours de l'individu (qui n'était autre que le discours de la raison). Socrate qui, tel le psychanalyste déposant son moi et se faisant objet-déchet, pour permettre l'éclosion de la parole de l'autre, affichait (malicieusement, lui) son non-savoir pour permettre à son interlocuteur d'articuler ses propres raisons.

Toujours le même fascisme rampant, la même servilité irrationnelle de ceux à qui il faut un maître-sachant, et qui refusent d'entendre ce que l'autre, prétendument ignorant, aurait à dire. Ce maître, qui ne voit clairement aujourd'hui qu'il s'agit du discours capitaliste (croissez ! dépensez ! jouissez !) adossé au discours de la science (ou pire, son dernier avatar, sa créature infernale, le discours de l'IA) ?

Or le drame du discours psychanalytique est de ne pouvoir lutter à armes égales contre ses adversaires. C'est que son éthique lui enjoint de taire sa raison, à un double titre : dans la conduite de la cure d'abord, où le savoir rationnel (théorique) est bien là côté analyste, guidant le procès, mais inexprimable comme tel pour laisser l'analysant déployer le sien propre ; dans le débat d'idées ensuite, il est retenu par une sorte de pudeur, car dans la sphère publique ce discours profondément "individuel" (voire intime) n'existe tout simplement pas en-dehors de la situation analytique. Par définition l'analyste ne peut pas rendre "publique" son expérience, ses procédures et ses résultats, les "preuves" "scientifiques" de son efficacité qu'on lui réclame à cor et à cri. Cela se fait certes, mais dans le cadre (là encore privé) du "contrôle" ou bien celui, restreint, des journées d'études entre pairs. Certes la théorie peut être exposée, à la manière universitaire, mais, malgré une cohérence que pourrait lui envier nombre de sciences humaines, malgré le niveau de qualification généralement élevé de ses écrivants et communicants (docteurs, agrégés, etc.), elle n'a aucun pouvoir de persuasion en tant que telle auprès de ceux qui sont convaincus par avance de son inanité.

Enfin, si je ne risquais de heurter nombre de gens (à l'heure où l'Etat d'Israël est lui-même, aujourd'hui, aux mains d'une clique fascisante, et commet des crimes de masse impardonnables) faute d'avoir le temps de développer suffisamment, je pourrais dire pourquoi ce discours violemment anti-psychanalytique me parait évidemment en phase avec l'anti-sémitisme décomplexé qui revient et qui s'affiche un peu partout, dans tous les milieux, pas tant au sein d'une certaine gauche française - dite "radicalisée" par les radicalisés de droite ! - que précisément partout dans l'opinion commune, de façon larvée et dissimulée - ce pourquoi je n'hésitais pas à parler plus haut de fascisme ordinaire. Tant il est vrai que la psychanalyse est, au moins dans ses origines, une "affaire juive", mettant l'altérité au coeur de l'humain, une affaire qui n'a pas fini de rester en travers de la gorge des identitaires de tous poils, de tous les pays et de tous les milieux.

(*) En raison des supposés "dégâts" qu'elle causerait, notamment auprès des enfants qu'elle aurait le vice de "sexualiser" à outrance, alors qu'à leur sujet elle parle de pulsions et non de sexe, qu'elle ne cesse de critiquer les représentations naïves du complexe d'Oedipe (non, l'enfant ne veut pas "coucher" avec sa mère, il n'a aucune idée de ce que ça peut vouloir dire !), ou bien auprès des autistes et de leurs familles qu'elle aurait le vice de "culpabiliser", vieille rengaine, alors qu'elle est la seule à proposer quelque chose en terme d'accompagnement, de conquête d'autonomie et de parole, et que son but a toujours été au contraire de responsabiliser pour justement éviter de culpabiliser. Mais bref, les critiques ignorent généralement tout de la théorie comme de la pratique psychanalytiques réelles, parfois ils ignorent même ou feignent d'ignorer son évolution considérable depuis Freud, car justement  cela permet de la réduire à ces "freudaines" obsolètes...

dm


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