Psychanalyse : de la Règle fondamentale à l'éthique

 


La psychanalyse a inauguré une nouvelle pratique parlée qui bouleverse les liens culturellement établis entre la parole et l'écriture. Dépassant la contradiction du conte, qui est une parole sans auteur, et du journal intime, qui est un écrit sans lecteur, l'interlocution analytique fait exister une parole se donnant à lire de la place d'un tiers où se tisse une œuvre commune d'un type absolument inédit, pas plus désireuse de "rester" comme un écrit majeur que de s'évaporer comme simples "paroles en l'air". Il est un fait que cette parole émise par l'analysant, tout en étant rigoureusement gardée de tout passage à l'écriture, s'avère aussi risquée et lourde de conséquences que si elle connaissait une immense publicité. Or cette production inédite n'est pas le résultat d'une technique sûre appropriée à une théorie non moins certaine, mais dépend de la mise en place et du respect d'une simple Règle du jeu qui épuise l'essence pratique de la psychanalyse. Il s'agit bien sûr de la "règle fondamentale" édictée par Freud qui commande à l'analysant de s'exprimer le plus librement possible sans chercher à ordonner ses dires à la logique des idées ou aux convenances habituelles ; c'est en parvenant ainsi à laisser se dérouler le flux associatif que le sujet est en droit d'attendre de l'analyste qu'il lui fasse entendre ce qu'il aura lu dans ses propres paroles, participant ainsi à l'œuvre commune du lieu d'une lettre ou d'une écriture absente, mais qui ne serait pas lecture vaine.

La "Règle du jeu" plutôt que la "méthode" de ce type d'expérience relèverait plutôt d'une éthique, de l'éthique immanente à une pratique, plutôt que d'une technique dont il faudrait s'étonner alors qu'elle n'ait pas varié d'un pouce depuis les premiers conseils de Freud. On n'a visiblement pas retenu qu'il ne s'agissait que de conseils, encore que de conseils très sérieux. Il a fallu travestir l'invention de Freud en prétendue découverte scientifique et faire de l'hypothèse de l'inconscient un domaine nouveau mais banal du savoir culturel pour oublier l'éthique inventive, au profit d'une technique figée et d'une institutionnalisation de ses règles. Entendons-nous : les règles ne varient en fonction des avancées de la théorie - encore ne s'agit-il le plus souvent que de transgressions salutaires (ainsi de la part de Lacan) - que dans la mesure où elles restituent ou approchent un peu mieux la Règle éthique qui, tout en étant flexible par essence, n'est pas pour autant "améliorable" : son essence n'est pas de se conformer à la théorie et encore moins à une prétendue science. Ce qui rend simplement possible la pratique analytique axée par la règle fondamentale n'est pas négociable, ne l'a jamais été, mais a été découvert, accepté et pratiqué de fait depuis le début de la psychanalyse.

Il s'agit d'une partie qui se joue à deux. L'éthique que constitue la psychanalyse postule en effet que la règle applicable à l'analysant lui enjoignant de dire n'importe quoi se réfracte du côté de l'analyste en obligation de ne pas faire n'importe quoi, puisque si celui-ci n'est pas tout à fait maître du jeu il reste quand même responsable des modalités de son déroulement. Au départ il y a l'invention un peu folle de la règle fondamentale, mimant avec humour ou provocation le déterminisme scientifique le plus absolu : parlez sans vous soucier du sens de ce que vous dites, cela n'en sera que plus significatif à partir du moment où vous pensez que, moi, psychanalyste, je ne suis pas un insensé. Un jeu, un pari, peut-être même un "coup de bluff" qui n'en produit pas moins ses effets dès lors qu'il engage une partie réelle et construit un lien durable entre deux sujets qui en attendent nécessairement quelque chose - disons quelque chose comme le "bénéfice d'une perte", pour tous deux et pour des raisons différentes, en tout cas une redistribution salutaire de la jouissance.

dm


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