Le "style de l'analyste" vs la "technique psychanalytique"


Freud puis Lacan. Le sujet de l'inconscient incompatible avec une "technique"

Que peut bien représenter l'expression de "technique psychanalytique", à part le titre d'un important recueil d'articles de Freud ? Si une technique se réduit à n'être que l'application d'une théorie, il est clair qu'il n'existe pas de technique psychanalytique. Néanmoins l'on désigne couramment par-là un ensemble de règles et de conseils destinés à guider l'analyste dans sa pratique, voire certains principes immuables servant à cadrer et à définir la dite pratique comme telle (mais on ne peut confondre des deux : tandis que la pratique emporte au moins une dualité, la technique se porte sur le prétendu agent, l'analyste). Or ces principes, et donc cette technique, se limitent à peu de choses chez le fondateur de la psychanalyse, voire à une seule règle : se servir de son propre inconscient comme d'un instrument. Il y a de la technique, de la technicité analytique dans la mesure où l'analyse suppose un travail à même l'inconscient, à partir d'une rencontre réelle analyste/analysant. Sans doute des règles trop limitées et trop précises reviendraient à méconnaître ce réel ; aussi la technique consiste-t-elle surtout à savoir exploiter et préserver ces conditions si particulières et si rigoureuses d'exercice, qui conditionnent d'ailleurs en retour la théorie.

Cela dit on ne peut pas séparer le problème de la technique de celui de la science, ou de la scientificité – évidemment problématique - de la psychanalyse. Pour Freud, avons-nous dit, la technique présente sans doute un aspect minimal, mais dans son principe elle n'en est pas moins absolue. Freud fait confiance, manifestement, à l'idéal de la science... Tandis que Lacan s'est toujours opposé fermement à l'idée de technicité. Il ne conserve finalement de la technique que son sens originel, le savoir-faire, et même le savoir-y-faire. Lacan fait pencher l'analyse du côté d'une pratique résolument subjective au détriment de la technique convenue et objectivante. Il n'y a aucun savoir à objectiver, à capitaliser, dans la cure ; l'analyse a affaire à la vérité et la vérité est affaire de parole. Enfin cette parole manifeste l'inconscient ou plutôt, comme on va le dire, le sujet de l'inconscient. Or l'existence de l'inconscient contrevient grandement à l'univers de la technique, du moins au paradigme de la technique.


L'éthique et le désir de l'analyste. Son style comme amour de la vérité

Au couple science/technique (ce que l'analyse n'est pas) il faut sans doute préférer le couple théorie/pratique, mais la raison et la paternité de cette préférence résident dans l'apport éminent de Lacan : un style. Rien moins que la griffe du sujet en tant que sujet du désir. Or la marque du désir, on sait en psychanalyse que cela concerne aussi le symptôme auquel le sujet s'identifie ; évidemment ce n'est pas le symptôme lui-même qui constitue le style (sauf à se donner un "genre" !), mais la bonne grâce avec laquelle on le laisse être dans sa vérité. Ce qui demande du style, c'est l'amour de la vérité. Surgit alors inévitablement la question de l'authentique et de l'inauthentique, de l'honnête et du cynique, de l'individuel et de l'institutionnel, avec peut-être ce soupçon que "la vraie psychanalyse se moque de la psychanalyse" (pour paraphraser Pascal). Le style, pour Lacan, c'est indéniablement le sujet.

La négation de la technique apparaît dans la formule célèbre de Lacan : "l'analyste ne s'autorise que de lui-même". L'éventuelle adhésion du psychanalyste à une Ecole ou à une institution, et sa reconnaissance souhaitable par celles-ci, n'ont pas valeur d'autorisation ou de fondation, lesquelles ne sauraient être que subjectives. Est psychanalyste celui dont l'acte a été de se mettre à cette place par lui-même, non par l'arbitraire d'une décision et encore moins pour "les meilleures raisons du monde", mais parce que tel était son désir. Le "soi-même" de la formule ne renvoie évidemment pas à une identité mais à l'urgence d'un désir, donc plutôt à une altérité. Pour concilier cet absolu du désir qui commande à l'analyste - quoi ? de ne pas céder sur son désir, justement - et le lien institutionnel, Lacan a inventé comme on le sait la procédure de la "passe" (voir notre billet à ce sujet).

Si la non-technique ou le "style" de Lacan, revient à placer le désir de l'analyste au principe de toute décision d'exercer comme au principe de la formation (avec la passe), il lui donne encore une importance cruciale comme pivot et support du transfert, autrement dit comme moteur de la cure. L'éthique et le style de Lacan, à nouveau, prennent pour seule boussole la formule suivante : "l'analyste ne cède pas sur son désir". Ce qui pourrait paraître inquiétant si l'on associe l'arbitraire avec le désir ! Il pourrait certes y avoir un danger, celui de méconnaître le seul réel capable de fonder un désir aussi précieux. C'est en fonction du réel - pour Lacan : l'absence de rapport sexuel - que le désir apparaît comme limite à la jouissance, signifiant l'exclusion du sujet de ce même réel. Car si le désir devient un absolu en soi, s'il se confond avec le réel, alors il ne sera plus dialectisable ni séparable de la jouissance du symptôme ou du fantasme, par exemple. De désir, il se transformera en pouvoir, au préjudice de l'analysant. C'est pourquoi l'éthique de l'analyste est bien de faire en sorte que sa pratique - du déroulement de la séance à celle la cure dans son ensemble - soit une métaphore en acte et exigeante de l'absence de rapport sexuel (ce qui va au-delà, on l'aura compris, de s'abstenir de coucher avec son analysant !!).

dm


 

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