De l'esprit

 


En ce qui concerne un certain "anti-lacanisme" primaire - que l'on rencontre assez souvent, par la force des choses, quand on écrit sur Lacan ! - par-delà la critique de la psychanalyse, c'est une phobie de même nature mais qui se joue à un niveau, disons plus philosophique : le rejet de Lacan fait partie d'une tentative réactionnaire de s'en prendre à la philosophie française post-existentialiste, Foucault, Deleuze ou Derrida notamment, et même au-delà à l'ensemble de la philosophie "continentale". C'est donc une attaque qui provient des tenants ...continentaux ...de la philosophie analytique anglo-saxonne, laquelle serait, selon eux, la vraie philosophie "contemporaine", et la philosophie française dite volontiers "post-moderne" ne serait rien d'autre selon eux qu'un bullshit incompréhensible, irrationnel, sophistique, etc. Or c'est bien plutôt cette philosophie analytique, et sa conception formaliste et étriquée de l'argumentation, qui doit être qualifiée de pré-contemporaine, du moment qu'elle ne pose pas comme centrales les problématiques de l'histoire d'abord (en ce sens le premier contemporain est Hegel), de l'existence et de l'inconscient ensuite, malgré un Wittgenstein proche de Freud sous certains aspects. Ajoutons à cela une tendance absolument délirante à faire proliférer les "thèses" et les "arguments" (en lieu et place des concepts) et à les identifier ipso facto comme autant de théories concurrentes, d'où une accumulation gratuite et non-justifiée de -ismes qui ne peut que donner une impression générale de relativisme (fâcheux quand on idolâtre par ailleurs la rationalité). Qu'il y ait quasiment autant de théories que d'arguments, en philosophie analytique, cela ne peut que nous rappeler, dans un autre domaine, le fameux DSM-4, l'inénarrable manuel pseudo-psychiatrique (imposé par les lobbies pharmaceutiques et fossoyeur de la psychiatrie) associant à chaque "trouble", chaque manifestation pathologique le nom d'une "maladie".

Parallèlement et souvent de concert avec le courant analytique, l'ignorance de la psychanalyse est manifeste au sein de cet agglomérat d'approches (essentiellement anglo-saxonnes) qu'on appelle "philosophie de l'esprit", qui se concentrent essentiellement sur la problématique de la conscience, parfois en liaison avec la psychologie cognitive, mais qui selon moi ne méritent en aucune manière le titre de théories "contemporaines". En effet parmi la grande diversité de théories parfois antinomiques (réductionnisme, fonctionnalisme, instrumentalisme, monisme, dualisme, etc.), quelques soient les solutions qu'elles proposent, force est de constater qu'elles se contentent de replacer et de rabâcher la vieille opposition de l'âme et du corps...  comme si sur cette question, le triple matérialisme de Nietzsche, Marx et Freud, puis la phénoménologie, puis l'existentialisme, puis enfin le structuralisme, n'avaient pas définitivement clos le débat. D'abord en rabattant la conscience sur le langage (c'est déjà quasiment acté chez Hegel) puis sur le corps (cf. Merleau-Ponty, et au-delà), corps individuel et surtout corps social, avant que Lacan n'épingle conscience et inconscient comme deux types spécifiques de relations à l'autre, imaginaire dans un cas, symbolique dans l'autre. Le corps et l'esprit se nomment respectivement jouissance et signifiance sans que cela fasse dualité et encore moins dualisme... Bref en tout cas, pas plus la philosophie analytique que cette "philosophie de l'esprit" anglo-saxonne, coqueluche des nouveaux diplômés en philosophie, ne sont des émanations de la pensée contemporaine. Foncièrement positivistes dans leur inspiration, même quand elles semblent se rallier à un certain spiritualisme, leur position est finalement d'attendre que la solution finale tombe, un beau jour, de la science. Mais bien entendu ce ne sont pas les fameuses "neurosciences", tant surestimées, qui auront un jour quelque chose à dire d'intelligent sur l'esprit, et pour cause. Le cerveau manigance certes quelque chose à ce titre, pour autant l'esprit n'est pas dans le cerveau, il existe dans la parole, ou dans le geste qui fait signe, ENTRE deux sujets, et encore tout de cet échange n'est-il pas forcément esprit. En tout cas il ne saurait être nulle part ailleurs... C'est très étonnant que quelque chose d'aussi sensible, d'aussi manifeste, et finalement d'aussi simple, n'aie pas traversé l'esprit des grands spécialistes de la neurologie et la philosophie de l'esprit !

dm


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