De quoi parle t-on ? Langage, langue, parole
On sait que, depuis Lacan, la théorie psychanalytique a largement puisé dans le fonds conceptuel de la linguistique moderne, moins pour se donner des airs de science humaine que pour étoffer et rafraîchir ses propres conceptions. A priori ces disciplines divergent profondément dans leur manière d'envisager le phénomène du langage. En tant que science héritière du cartésianisme, la linguistique moderne définit le langage comme une fonction humaine de communication, basée sur ces systèmes sociologiquement constitués que sont les langues particulières. Généralement, la linguistique issue de Saussure privilégie les aspects formels et syntaxiques, réduisant la langue à un code idéal et limitant justement l'objet d'investigation de la linguistique à la langue, à l'exclusion de la parole. A priori, la psychanalyse s'intéresse au contraire à la parole puisque, d'une part il n'existe pas d'autre moyen pour nouer un échange – qui d'ailleurs n'est pas uniquement communicationnel – entre l'analyste et son patient et, d'autre part, les matériaux apportés par le patient comme manifestations inconscientes constituent par eux-mêmes des faits de langage, voire d'authentiques paroles : fantasmes, rêves, symptômes, lapsus... Bien sûr il faudra préciser le statut du « comme » inclus dans la célèbre formule de Lacan : « l'inconscient est structuré comme un langage ». La rencontre entre la psychanalyse (mais aussi d'autres sciences comme l'anthropologie) et la linguistique était inévitable dès lors que le terme de « structure » obligeait, par définition, à prendre le langage lui-même comme référent. En somme, si l'inconscient est comme un langage, c'est parce qu'il est structuré – et il n'y a pas d'autre structure que de langage. Mais ne feignons pas d'oublier la distinction capitale, pour le linguiste, entre la langue et le langage d'une part, entre la langue et la parole d'autre part. Les langages dont s'occupe la psychanalyse, et que nous avons cités, ne concernent pas la science linguistique stricto sensu en tant qu'elle étudie le système de la langue. Ils relèvent tous en effet du discours et non de la langue, pour reprendre la distinction de Benveniste, c'est-à-dire qu'ils incluent la dimension subjective de l'énonciation et les effets de production de sens. Seulement on aurait tort de se croire tiré d'affaire en rangeant la psychanalyse du côté de la sémantique ou de la pragmatique, comme s'il s'agissait simplement de trouver le bon niveau, le bon palier au sein de la grande maison – conviviale – des sciences du langage. C'est peut-être ainsi que l'entendent tacitement la plupart des linguistes, qui ne voient pas vraiment le rapport de la psychanalyse avec leur discipline si… disciplinée, même s'ils admettent le lien constitutif de l'inconscient avec le langage.

































